Un vieil homme,
parti en forêt avec son petit-fils, lui raconta cette histoire.
« Mokopuna,
jeune homme, fils de mon fils, allons parcourir les eaux les plus sauvages et
voyager sur le Waka des Dieux.
Dans les
anciens temps, les ancêtres attendaient chaque année l’arrivée du plus beau, du
plus grand et du plus magnifique Waka : le Waka des Dieux. Quand la saison
approchait, ils disaient à leurs enfants ce qu’ils allaient bientôt voir :
"Cherchez
la poupe la plus finement sculptée s’élevant vers les étoiles. Voyez la fière
proue coupant les vagues, colorée d’arcs-en-ciel, et sachez que les Dieux
utilisent leurs merveilleux pouvoirs pour envoyer glisser le Waka sur les eaux
profondes.
"N’ayez
pas peur quand les ombres tombent sur le pays, car ce n’est que sa grand-voile
qui vient cacher le Soleil. Souvenez-vous, il a deux énormes coques, l’une est
Aotea Mai Rangi et l’autre Aotea Roa, et des cordes magiques les relient pour
chevaucher les eaux turbulentes des Anciennes Marées." *
Nos ancêtres
aimaient le Waka des Dieux qui venait chaque année à la saison des fleurs. Mais
un printemps pourtant, il ne vint plus. Saison après saison ils le cherchèrent,
mais le Waka ne revint jamais.
Alors ils
demandèrent aux plus sages d’entre eux de sonder les mystères du passé.
Fouillant profondément le temps d’hier, ils virent Mahuru et sa femme Hione
voler le Waka et partir au large. Tous décidèrent de partir à leur suite. Ils
les rattrapèrent le jour d’après, mais les Dieux étaient toujours fâchés. Et une
terrible tragédie se déroula sous leurs yeux : ils virent des étoiles en
colère se rassembler autour de la lune pour donner naissance aux Marées du
Chaos, le Déluge tant redouté.
Loin derrière
l’horizon voilé, les eaux commencèrent à se soulever terriblement haut, avant de
s’enrouler et de tout dévaster sur leur passage. Des vents de tempêtes
découpèrent les nuages en lambeaux, balayèrent les oiseaux du ciel, tirèrent
les poissons hors de l’eau pour les écraser contre la voile. De leurs mains
gelées, ils essayèrent de rentrer la grand-voile avant que le Waka ne chavire. Mais soudain
les vents gagnèrent en puissance, et poussèrent inexorablement le Waka contre
une immense vague.
C’est alors
que la coque d’Aotea Mai Rangi se perça. Elle se brisa en morceaux quand les
dents pointues des rochers la transpercèrent pour l’ouvrir tout grand à la rage
des marées ; un récif dissimulé fut sa perte fatale. Désespérément, les sages
crièrent au Gardien Taniwha de sauver le Waka :
"Entends-nous,
tout-puissant. Nous sommes à bout de nos forces et nous ne pouvons pas écoper
assez vite pour contenir la marée. Renvoie les eaux dans la mer, fais flotter
le Waka haut au-dessus de vagues. Viens vite ou nous périrons tous dans le Déluge !"
Mais
la prière était trop longue. Aotea Mai Rangi commença à couler avant que
Taniwha n’apparaisse. Se mouvant rapidement dans les airs, le Gardien coupa les
liens pour séparer les coques et libérer Aotea Roa, alors que l’autre coque
Aotea Mai Rangi disparaissait derrière les vagues, emportant les voleurs Mahuru
et Hione et bien d’autres valeureux marins.
Et la peine
fut partagée : Io Mata Ngaro, le Dieu Suprême, descendit des cieux et
envoya un chant magique : il toucha doucement le Waka et l’équipage, et
changea tout le monde et toute chose en pierre.
Ceci
est l’histoire du Waka des Dieux. Une coque fut sauvée et l’autre perdue ;
forts pourtant étaient les liens qui unifiaient les deux. Encore maintenant les
montagnes portent les noms de ceux qui furent noyés. Ils ne sont pas oubliés.
Te
Waka Aotea Roa o Nga Atua, le grand Waka des Dieux, fut reconstruit avec un
espar à la coque pour l’équilibrer sur les vagues. Sa proue fend toujours les
froides marées venant du Sud. Son pouvoir reste encore dans les frères et sœurs
changés en pierre. C’est pourquoi nous parcourons les terres d’un pas
précautionneux, et nous nous déplaçons dans les montagnes avec respect. Car là
nous rencontrons nos ancêtres qui naviguèrent bravement sur le Waka des Dieux.
Et il reste notre havre de paix jusqu’à ce que nous soyons nous-mêmes changés
en pierre et les rejoignions. »
Le vieil homme fit une longue pause. Le feu crépitait doucement et réchauffait la nuit. Puis il dit au garçon :
« Mokopuna,
quand la mort m’appellera, emporte-moi auprès de mes ancêtres dans les
montagnes, et laisse mes os à leur décor de pierre. Envoie mon esprit à Te
Reranga Wairua, où Hine Nui Te Po attends de me mener chez moi. Et dis le
dernier chant pour moi. »
Quand
son petit-fils acquiesça, le vieil homme sourit et porta son regard au-delà du
feu, vers les étoiles.
« Enfin
sache que Tangaroa nous envoya un Rayon magique, comme une corde pour monter à
bord du Waka des Dieux. Ensemble, nous bravons le tumulte des Vieilles Marées
comme celui de la vie, pour vivre là sur notre île, notre pays du long nuage
blanc, Aotea Roa. Honore les Dieux, comme tu honoreras les ancêtres
d’autrefois, et jusqu’aux jours du Faiseur de Rêves. »
Traduit directement (et
personnellement) de l’anglais, depuis :
« le Chant de Waitaha » (http://www.songofwaitaha.co.nz/free-gift.html)
*Un peu comme un catamaran, en
fait… [Note du traducteur]